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“Il est plus simple de devenir une auteure bilingue que de réussir en tant qu’auteure noire en France”

Auteure est un des métiers les plus complexes et ingrats: on recherche désespérément l’attention du public et de nos pairs tout en sachant qu’une grande partie de notre travail consiste à créer des oeuvres pour lesquels nous ne recevrons aucun laurier.

Il est difficile, masochiste même de décider de s’exposer au rejet constant d’une cruelle industrie qui privilégie rarement le talent. Et c’est difficulté deviennent pire quand on y ajoute les discriminations liées à la race et au sexe. Etre une auteure noire signifie être cantonné dans 2 cases:

-écrire des romans exotiques emplis d’afro-pessimistes (ou poverty porn) sur l’Afrique et les Caraïbes

-écrire des oeuvres sur la vie dans la cité et ses galères.

Pour ceux dont les écrits n’appartiennent pas à de tels stéréotypes, le chemin est long et ardu pour devenir auteure.

Bien sur, ma propre définition de la profession est engluée dans un système capitaliste pour lequel le travail n’a de valeur que s’il est rétributif. Si un écrivain est défini comme quelqu’un vivant de sa plume, qu’en est-il de tous ces auteurs talentueux qui sont ignorés de l’industrie, ou bien rarement payé pour leur travail?

Une définition révisée de la profession serait donc une personne qui écrit et dont les textes sont disponibles au public.

 Donc, les auteurs noirs subissent le risque de voir leurs écrits rejetés parce qu’ils sortent des sentiers battus, dans un système ou la meilleure chance d’être publié consiste en une commande d’éditeur (ou celui ci demande personnellement à un écrivain de produire un texte), vous comprendrez que nos chances sont restreintes. Une difficulté supplémentaire est que la majorité des auteurs noirs sont issus de la seconde (et parfois troisième, quatrième ou plus) génération d’écrivains et ont une expérience limité de la vie en Afrique et au caraïbes. Comment pouvons nous écrire sur un sujet que tant d’entre nous maitrisent si peu? Notre vie, quotidien est en France mais apparemment, il ne s’agit pas d’histoires qui vendent, en dépit du fait que cela concerne la majorité d’entre nous.

Quand j’ai commencé à écrire, j’étais fermement décidée à écrire dans ma première langue. Ma 2e langue (qui, conceptuellement et culturellement est ma langue maternelle) est le baoulé et j’avais appris ma troisième langue, l’anglais à l’école. So je n’avais pas eu de sérieuse limitation professionnelle dû à ma couleur de peau et mes origines, j’aurais probablement continué de créer en Français.

En grandissant en tant que personne et auteure, mon inconfort devenait de plus en plus évident envers le pays qui m’avait vu naitre et ne voulait m’accepter que sous des conditions impossible à combler. Par réaction contraire, j’étais devenue une avide lectrice de romans, magazines et essais anglophones et rapidement je n’avais plus besoin de dictionnaire pour m’aider. Je commençais à maitriser tant l’anglais qu’il avait remplacer ma 2e langue. Je ressentais une urgence de devenir polyglotte, une urgence que j’étais la seule à manifester dans mon entourage.

J’ai commencé à écrire en anglais des poèmes et chansons quand j’avais 14 ans, parce que c’était la mode et que certains de mes artistes préférés étaient anglophones, comme Robert Cormier, Audre Lorde

Puis j’ai découvert la série Skins. J’ai grandi avec Internet et toutes les possibilités qui apparaissent chaque jour devant nos yeux.

Maitriser l’anglais était incroyablement aisé avec toutes les méthodes de langues disponibles et se familiarisé à l’oral grâce à Youtube et les séries et films.

Pour revenir à Skins, la série a eu un énorme impact sur moi en tant qu’auteure adolescente noire. Je naviguais dans une industrie où à cause de mon âge, de mon sexe, de ma classe sociale et de mes origines. Hors de l’industrie, les gens de mon âge ne me croyaient pas quand je leur disais que j’écrivais, et ne comprenaient pas pourquoi il s’agissait d’un besoin pressant, d’une évidence.

Mais regarder Skins dont les scénaristes étaient à peine plus âgés que moi créer des histoires pour la télé, des personnages qui me ressemblaient, auquel je pouvais m’identifier en dépit de la mer et des 500 kilomètres qui nous séparaient, m’a ouvert les yeux.

Il est soudain devenu évident pour moi que mon avenir en tant qu’auteur ne pourrait se limiter à la France. Mon ambition me susurrait que je ne pouvais me permettre de tourner le dos au millions d’anglophones que je pouvais toucher par mes mots. Il y avait quelques opportunités pour des jeunes auteurs noirs au Royaume Uni et plus encore aux Etats Unis. Pourquoi devrais je me limiter quand j’avais l’occasion de propulser ma carrière la ou elle devrait être?

J’ai commencé à écrire sur mes réseaux sociaux et mon blog en anglais, ainsi qu’à traduire mes scénarios. La difficulté principale était de corriger mes fautes grammaticales et d’orthographes en anglais. J’ai demandé de l’aide aussi bien en ligne qu’aux autres bilingues que je connaissais. C’était un problème de taille, mais j’avais le même souci quand j’écrivais en Français.

Je n’ai jamais vraiment douté de ma capacité à devenir une auteure bilingue. Ce n’est pas plus mal, car si je m’étais mise à réfléchir à toute les difficultés que cela entrainait, j’aurais probablement abandonné. J’ai toujours eu des facilités en langue -cela explique ma confiance en moi. Mais j’avais aussi la certitude que l’anglais, linguistiquement parlant, était facile à apprendre et maitriser. J’avais atteint des objectives plus compliqués dans ma vie.

Il fut bientôt évident qu’écrire en anglais depuis la France ne changeait pas vraiment la donne. Il me fallait aller à l’étranger pour de bon, ou quelques mois en tous cas.

Mon master a été un parcours du combattant et une expérience géniale: je devais constamment produire des textes et scénarios en anglais, je parlais tous les jours en anglais, rêvais et pensais en anglais. Cette totale immersion a été bénéfique.

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